on manque d'air mais pas d'idées
positivons
ça va aller

© Virginie Ducoulombier, tous droits réservés

Nappe en toile cirée ronde de chez Babou, choisie, ce matin, par une vendeuse noire entre deux âges qui boitait et soupirait de fatigue et qui m'a accompagnée, sans sourire, jusqu'au rayon des nappes en plastique précoupées ou à la coupe. Celle-là ira bien dans un jardin vous ne trouvez pas, m'a-t-elle dit... Bonne idée, me suis-je bêtement empressée de répondre. Sans oser regarder les autres nappes, j'ai pris la nappe qu'elle me tendait, je l'ai plaquée contre mes seins comme s'il s'agissait d'un trésor unique dans le magasin, je l'ai remerciée ardemment pour ce lumineux choix, lui arrachant même un pâle sourire, ce qui m'a fait penser qu'elle devait soudain peut-être trouver que son métier, sous certaines conditions, c'est à dire grâce à des personnes telles que moi, pouvait avoir du charme, je lui ai dit au revoir, bonne journée, ce à quoi elle a répondu: également, du bout des lèvres, sans me regarder et sans exprimer le moindre contentement. J'ai essayé de revenir en douce dans le rayon voir les motifs des autres toiles cirees rondes mais je suis tombée nez à nez avec elle au bout du rayon, elle conseillait un autre client, pom pom pom, j'ai fait comme si de rien n'était et m'interessais aux coussins style New York du rayon d'à côté, la nappe fleurie bien en évidence sous mon bras pour qu'elle ne s'imagine quand même pas que je voulais en changer ou doutais de son choix... noooooon, un excellent choix...

Fini les bons vieux trains de banlieue, bien sales et confortables, supprimés, les reposoirs pour les pieds. On nous a fait des trains high-tech, construits d’une seule pièce, avec lumières d’ambiance et télés qui tournent en boucle, je vois plus les gens, dossiers trop hauts, je les entends, ils causent à leur portable, de multiples façons, peux plus les dessiner, je fais comme eux, les gens, je pianote sur mon portable, scrabble, sudoku, Facebook ! Haha ! La vie est partout…

J’ai poussé la porte du bar PMU du mon bled où toutes les ethnies possibles et imaginables de la banlieue parisienne y sont représentées et s’y côtoient en toute convivialité. Et ce vendredi, au lieu de dessiner les joueurs, comme la dernière fois, j’ai tenté de croquer des gens en train de boire leur bière ou leur café.

Et bien, je ne pensais pas que c’était aussi difficile, de saisir l’instant où les gens portent leur verre ou leur tasse à leurs lèvres. C’est un moment hautement fugitif… Le temps de regarder, de tracer un trait et houps! Le verre est reposé et le client a changé de position.

Faut recommencer sur une nouvelle page… Un vrai défi pour moi qui dessine depuis peu… (mais qui regarde depuis longtemps!…)

Mais j’aime ça, ce genre de défi, partir à l’inconnu, au devant de moi et des autres, et découvrir des trésors que je ne soupçonnais pas, en moi et chez les autres… c’est une forme de voyage… En tous cas, c’est comme ça que je voyage, même à côté de chez moi…

Il m’a fallu un certain courage, ce vendredi matin, pour quitter ma maison et le coin douillet où se trouve mon ordinateur, pour tenter l’expérience… J’ai d’abord fait un grand tour au marché, pour retarder le moment… Et puis quand même, je me suis lancée…

Pas évident de s’y coller, d’affronter les regards, de ne pas savoir ce qui va sortir de ses doigts, d’accepter d’être mauvaise…

© Virginie Ducoulombier, tous droits réservés